quand la 5G apparaît sous moratoire - Pierre Dubochet

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Quand la 5G apparaît sous moratoire

Une actualité justifie à elle seule le maintien des moratoires cantonaux. Dans un arrêt de 2005 (1A.160/2004), le Tribunal fédéral estime que le respect de l'intensité émise est largement basé sur la responsabilité de l’opérateur de réseau, et que cette responsabilité n’est pas idéale si l’on veut garantir durablement le respect des valeurs limites de l’ORNI.

© Pierre Dubochet, ing. radio
toxicologie des RNI
1er novembre 2019
mis à jour le 4 décembre 2020
Obligation de notifier des modifications
Lecture : 9 min | 2580 mots
Visiblement, de nombreuses personnes, y compris celles responsables des dossiers dans les communes, ne savent pas précisément ce que rend possible une modification mineure au sens de l'ORNI, si l'installation de la 5G nécessite obligatoirement une mise à l'enquête ou peut se faire dans le cadre d'une mise à jour planifiée des équipements.
Peut-on transformer une station de base pour l'équiper en 5G malgré les moratoires ? Avant tout, que dit la législation ?
L'opérateur de téléphonie mobile a l'obligation de notifier des modifications selon l'art. 11, al. 1 ORNI (les liens ouvrent de nouveaux onglets) en déposant une fiche de données spécifique au site auprès du canton ou de la commune pour les modifications stipulées par l'art. 62, al. 5, ORNI qui sont:
  • le déplacement d’antennes émettrices,

  • le remplacement d’antennes émettrices par d’autres ayant un diagramme d’antenne différent,

  • l’extension par ajout d’antennes émettrices,

  • l’augmentation de l’ERP (effective radiated power = puissance apparente rayonnée) au-delà de la valeur maximale autorisée,

  • la modification des directions d’émission au-delà du domaine angulaire autorisé.

La 5G peut être émise sur de nouvelles fréquences par de nouvelles antennes, ou peut se faire en réaffectant une fréquence déjà utilisée par une antenne installée sur le site.
L'ORNI est claire: l'ajout d'antennes oblige à déposer une fiche de données spécifique au site pour une procédure de mise à l'enquête. La 5G émise par des fréquences jamais utilisées en téléphonie mobile oblige à une mise à l'enquête.
Une perception rigide de cet article donne à penser que les opérateurs doivent effectuer une mise à l'enquête au moment où ils s'apprêtent à installer les antennes 5G. La réalité peut être légèrement différente, comme je vais le développer.
Avant tout, rappel du contexte.
1° vendre les concessions 2° peser le risque
La Confédération ne cache pas son jeu, très enjouée à voir la Suisse couverte d'une couche supplémentaire d'électrosmog, «pour le nouveau monde merveilleux de la 5G», écrit la ComCom dans son rapport annuel de 2017.
Une Commission de sept membres déçue que le Conseil des États ait refusé de relever les valeurs limites à deux reprises, mais persuadée que «des méthodes de mesure plus ciblées contribueront à mieux tirer profit des limites imposées»....
Tout cela pour créer de nouveaux besoins et stimuler encore le volume de données vidéo qui constitue actuellement le 80% du trafic et qu'il serait facile techniquement de réfréner.
Alors que plus de trente Appels ont été lancés depuis l'an 2000 par d'innombrables professionnels de la santé et experts pour conduire les pouvoirs publics à mieux préserver la population des risques de l'exposition aux rayonnements.
En automne 2018, la conseillère fédérale Doris Leuthard institue un groupe de travail sur la téléphonie mobile et le rayonnement. Sa tâche : évaluer la croissance à moyen et à long terme des technologies de téléphonie mobile, notamment en lien avec la 5G.
Son mandat consiste à «établir les faits permettant de prendre les futures décisions politiques».
Des experts compétents sans conflit d'intérêts sont refusés dans ce groupe de travail. L'influent Martin Röösli s'y trouve, qui n'a à la base ni formation médicale, ni formation biologique, ni formation en physique.
Martin Röösli a été accusé par ses pairs de fraude scientifique, car il a interprété des données de manière fautive afin de publier des documents qui soutiennent son point de vue.
Le 8 février 2019, les licences 5G sont attribuées en Suisse. La Commission fédérale de la communication (ComCom) annonce que Swisscom, Salt et Sunrise ont acquis ces licences d’une validité de quinze ans.
Commentaires des acheteurs : Sunrise a acquis «les fréquences les plus stratégiques». Pascal Grieder, directeur de Salt : «Nous nous réjouissons maintenant de continuer à améliorer notre réseau et de lancer les services 5G dans le courant de l’année». Swisscom «activera la 5G aussi rapidement que possible».

«Tout cela pour créer de nouveaux besoins et stimuler encore le volume de données vidéo qui constitue actuellement le 80% du trafic et qu'il serait facile techniquement de réfréner.»

Déluge de moratoires et d'avis négatifs
Le canton de Vaud choisit de «retenir les dossiers relatifs aux antennes 5G dans l’attente des directives techniques de la Confédération» le 9 avril. Le canton de Genève adopte une motion pour un moratoire le 10 avril.
Le 17 avril débute la période de concession pour la 5G. Ce jour-là, l'opérateur historique annonce avoir déployé la cinquième génération de téléphonie mobile dans 54 localités et 102 sites. Aucun smartphone n'est toutefois disponible.
Antonio Hodgers, conseiller d’État Vert chargé du département du Territoire à Genève, déclare «je n’ai pas encore de demandes sur mon bureau pour des antennes 5G».
Dans un second temps, le directeur Philipe Royer explique que son organisme en charge de valider les installations «analyse les demandes des opérateurs au vu des paramètres des antennes qu’ils veulent installer, notamment leur fréquence, leur puissance ou leur localisation. Mais nous n’avons pas de moyen de savoir à quelle technologie elles seront dédiées, si c’est pour de la 3, 4 ou 5G».
Je n'en reviens pas (grand soupir). La 5G utilise des fréquences non exploitées auparavant : 700 MHz, 1400 MHz et 3500-3800 MHz. Comment espérer une maîtrise communale des dossiers si l'organisme de validation cantonal n'en connaît pas les rudiments?
La suppression de la mention de la technologie (3G, 4G, etc.) dans la fiche est permise par une circulaire de 2010 du DETEC.
Quelques heures plus tard ce 17 avril, je commente Swisscom actionne la 5G... ou bluffe, et le gouvernement jurassien décide de geler toute construction d'antennes sur son territoire.
Toujours ce 17 avril, l'Illustré publie un sondage qui montre que 60% des Romands sont contre ou plutôt contre la 5G, les séniors étant les plus réticents.
Le 3 mai, l'OFCOM et l'OFEV, dans une prise de position commune, déclarent que l'élaboration de prescriptions contre le rayonnement incombe aux autorités fédérales :
«Les autorités cantonales ou communales ne disposent par conséquent d’aucune marge de manœuvre leur permettant d’élaborer des dispositions destinées à protéger la population contre le rayonnement des installations de téléphonie mobile sans outrepasser leurs compétences».
Le 10 mai, suivant en cela la menace du directeur général de Swisscom Urs Schaeppi de saisir la justice, un porte-parole de Sunrise indique que l'opérateur évaluera une action en justice si un permis de construire lui était volontairement refusé.
Parenthèse : Urs Schaeppi, dont le vœu le plus cher est de couvrir la Suisse de rayonnement 5G et d'obtenir une modification de l'ORNI qui lui donnerait le droit d'émettre seize fois plus fort qu'actuellement, s'épargne à domicile les risques de l'exposition à la téléphonie, ainsi que je le disais à l'Illustré en novembre 2018 (réponse 8).
Il s'est arrangé avec ses techniciens pour éviter la 5G à son domicile, comme le montre la carte de Swisscom, où l'onde 5G en magenta se tient précautionneusement à distance de sa maison, icône rouge au centre de l'image.
Le 10 mai voit une manifesation nationale rassembler quelque deux mille personnes contre la 5G à Berne, dans le temps où une pétition en ligne contre la 5G approche les 60'000 signatures. Le 20 mai la FMH plaide pour la prudence. Ambiance.
Le matraquage publicitaire sur une future 5G à laquelle personne ne semble pouvoir échapper dans un avenir proche, en sus d'annonces réitérées des opérateurs sur une prétendue nécessité de multiplier la puissance des antennes par seize (!) en inscrivant des valeurs limites plus permissives dans l'ORNI (dont la partie consacrée aux rayonnements des antennes découle d'observations comportementales de singes), suscitent de nombreuses réactions, exigeant notamment une approche prudente et documentée en suisse romande.

«Urs Schaeppi —directeur général de Swisscom— dont le vœu le plus cher est de couvrir la Suisse de rayonnement, s'épargne à domicile les risques de l'exposition à la téléphonie.»

Savoirs préparatoires et moratoires discriminatoires
Genève, Vaud, et Jura ont empêché les nouvelles installations 5G. Pourtant, dans les mois qui suivent, on lit que des antennes 5G y sont mises en service. Après avoir reçu une lettre du Gouvernement, les autorités jurassiennes lèvent leur moratoire puis le réinstaurent le 31 octobre.
Le torchon brûle ici et là entre les opérateurs et des communes ou des responsables politiques, car la 5G s'installe dans des cantons qui ont pris des dispositions pour l'empêcher.
Où cela nous mène-t-il ? Le 17 avril 2019 marque donc le jour du début de la concession 5G. Les fréquences de 700 MHz, de 1400 MHz et de 3500 à 3800 MHz n'étaient pas utilisables avant le début de la période de concession.
5G sous moratoire, mode d'emploi
A] Première étape :
Les documents de mise à l'enquête imposent le dépôt des diagrammes d'émission de toutes les antennes. Le fournisseur de Swisscom les a produits en décembre 2017 pour le 700 MHz et pour le 1400 MHz. Quant aux fréquences 3500-3800 MHz, il a procuré un diagramme d'émission provisoire en avril 2018 —utilisable pour les mises à l'enquête— et une version définitive en décembre 2018.
Swisscom a pu faire des mises à l'enquête pour de la 5G sur deux fréquences dès le mois de décembre 2017, et sur les trois fréquences dès le mois d'avril 2018, tout en incluant les fréquences habituelles pour la 3G et 4G.
Volontairement, nulle part les documents de mise à l'enquête ne mentionnent la 5G.
Quand les antennes pour la 5G sont livrables, l'opérateur démonte les antennes existantes, installe les nouvelles. Installe les émetteurs 5G, les laisse éteints. Remet en service la 3G et la 4G comme avant. Rien ne change.
A] Seconde étape :
Dès que la concession pour la 5G entre en vigueur, l'opérateur presse le bouton et met en service. Une réduction de puissance d'émission 3G-4G laisse la possibilité de créer un champ électrique 5G tout en maintenant le champ électrique identique.
B] Réaffectation de fréquence :
En Suisse, chaque fréquence pour laquelle un opérateur dispose d'une concession peut être utilisée pour n'importe quelle génération de téléphonie. On parle de 'licences technologiquement neutres'.
La neutralité technologique permet aux opérateurs mobiles de remplacer des équipements anciens dans une bande de fréquences par des équipements répondant à une norme plus moderne pour passer d'une génération à une autre. Ce processus est également appelé réaffectation des fréquences.
Méthode appliquée : dès que la concession autorise la 5G, débrancher l'émetteur 3G sur 2100 MHz, brancher l'émetteur 5G sur 2100 MHz et mettre en service. La réaffectation de fréquence est développée plus loin. Le champ électrique disponible par l'arrêt de la 3G est exploité par la 5G.
Voilà deux solutions qui, soit par le délai entre le moment de la mise à l'enquête (et de la levée d'éventuelles oppositions) et le moment de la mise en service, soit par une réaffectation de fréquence en tant que modification mineure sans mise à l'enquête, font que la 5G s'installe en dépit des moratoires instaurés dans plusieurs cantons.
Définitivement oui, avec une mise à l'enquête antérieure au mois d'avril 2019 qui anticipait la pose de la 5G ou par une modification mineure sans mise à l'enquête, il est possible à un opérateur de mettre en service la 5G sous moratoire.
Le manque d'informations dont disposent les autorités communales empêche la population de disposer de données objectives et facilite largement la tâche aux opérateurs qui espèrent que tous s'inclinent devant le fait accompli.
Mode d'emploi pour installer la 5G après le 17 avril sans mise à l'enquête 5G après le 17 avril.
Des antennes destinées à la 5G dès décembre 2017
Le fournisseur de Swisscom propose aussi des antennes 5G destinées aux fréquences comprises entre 3500 et 3800 MHz. Il a produit un diagramme d'émission provisoire en avril 2018 —utilisable pour les mises à l'enquête— et une version définitive en décembre 2018.
Il était donc possible pour l'opérateur qui a anticipé la 5G avant même que les concessions soient mises aux enchères d'effectuer des mises à l'enquête durant la période qui s'étale du mois de décembre 2017 au mois de mars 2019 sans subir la période des moratoires. Puis, le moment venu, la 5G est mise en service.
Les pratiques des opérateurs prennent à revers les moratoires ou assimilés actuels. Et exaspèrent certains élus et une partie de la population, qui désirent un débat serein... et démocratique... sur la 5G et les objets communicants. Ce qui semble un vœu pieux.
La 5G utilise une bande de fréquence comprise entre 3500 et 3800 MHz. Des antennes qui émettent à ces fréquences ont un rayonnement angulaire vertical différent des antennes actuelles. Voir mon animation en figure 1 ci-dessous.
Des antennes Ericsson couvrent les fréquences de 700 à 900 MHz et d'autres antennes couvrent les fréquences de 1400 à 2500 MHz. Les diagrammes d'émission ont été mis à disposition en décembre 2017 par le fabricant de sorte que Swisscom peut effectuer des mises à l'enquête basées sur ces équipements depuis ce mois.
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Figure 1. Comparaison des diagrammes verticaux d'émission pour des antennes Swisscom de 700 à 900 MHz (3G, 4G, 5G en noir) et pour 3500-3800 MHz (5G, en rouge). Le rayonnement dans la bande des 3 GHz est plus enveloppant au sol qu'avec les autres fréquences.
Une mise à l'enquête est donc nécessaire lorsque le site doit émettre en 5G sur les fréquences 700, 1400 et entre 3500-3800 MHz.
Une mise à l'enquête n'est pas nécessaire lorsque l'opérateur procède à une réaffectation de fréquence.
De la 5G illicite ?
Mise à jour du 20 octobre 2020 | Plusieurs sites internet évoquent que des opérateurs ajouteraient la 5G sur des mâts existants sans avoir demandé de permis de construire afin d'éviter une opposition communale ou celles de riverains.
Des messages en ce sens sont publiés ici et là depuis l'automne 2019. Je n'avais cependant pas pris connaissance d'un dossier étayé qui prouve une installation illicite avant le mois d'octobre 2020.
Selon cette source, Sunrise a dû interrompre les émissions d'une antenne 5G à Jaberg (canton de Berne) pour laquelle aucun permis de construire n'aurait été demandé. Il est possible que d'autres antennes 5G dans le canton de Berne soient concernées.
Réaffectation des fréquences de la 3G pour la 5G
La fréquence de 2100 MHz va compléter les autres fréquences pour la 5G: 700, 1400 et 3500-3800 MHz.
La 4G exploite les plages de 800, 1800 et 2600 MHz.
Pour l'utilisateur, cette réaffectation ne change pas grand-chose puisque, sauf blocage manuel en 3G ou 4G, le smartphone sélectionne automatiquement le signal de plus adapté à la transmission.
De fait, la réaffectation a commencé avant octobre: certaines stations de base n'émettent plus la 3G en 2100 MHz depuis l'été.
Swisscom désaffecte la 2G au début de 2021, l'opération prendra plusieurs semaines. Sunrise joue les prolongations jusqu'à la fin de 2022. Salt ne communique pas de date. Des systèmes d’alarme, des connexions machine à machine, les info-trafic sur certains GPS ou des téléphones d’ascenseur pourraient être affectés.
Les fréquences de 900 et de 1800 MHz de la 2G désaffectée seront également réaffectées à la 5G dès 2021.
La 3G (et la 3G+) exploite les fréquences de 900 MHz et de 2100 MHz. Cette page liste les fréquences de la téléphonie mobile en Suisse.
Récemment, Swisscom a annoncé réaffecter la plage de fréquence 2100 MHz —jusqu'alors utilisée par la 3G— pour l'exploiter en 5G.
La 3G sera à court terme desservie uniquement par la fréquence de 900 MHz, jusqu'à son interruption probable à fin 2024.
D’innombrables appareils de surveillance et de commandes décentralisées du bâtiment utilisent encore aujourd’hui les infrastructures 2G et 3G. Ils pourraient ne plus fonctionner comme prévu après la réaffectation.
Ces publications complèteront utilement votre savoir :
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